Le vieillard (86)

Au beau milieu du petit paquet de ces vieux messieurs au bord de l’empyreume, un décrépit au teint spinelle d’environ cent quarante -trois ans alopécique était allongé sur une table basse cloué comme un christ jaune à la Gauguin. Il marmonnait dans une vieille barbe grisonne qui abritait araignées, scolopendres et termites. Sans son Alibaba, cet ancêtre ressemblait comme deux gouttes d’eau jumelles à Louis, notre héros préféré. Le vieillard était habillé d’un uniforme des armées cosaques qui crassait sur la poche gauche une tache de sang bruni, sans doute coagulée depuis des années. Louis se rapprocha du cacochyme cadenassé pour constater que sans un huitième de soupçon de doute, il lui ressemblait profondément : même appendice nasale accompagné de ses deux narines, même yeux et même regard, même pavillons d’ouïe et quasiment même taille. Louis était troublé ! Il se revoyait enfant naviguer dans son rêve d’il y a peu, dans son grenier familial quand il était tombé, couché dans une vieille malle, sur un uniforme souillé de sang. Il pensait alors qu’il s’agissait de son grand-père Wilfried, mort quelque part sur un front boucher européen ou comme chez Godet la mitraille pleuvait drue pour arracher de jeunes membres, sur un lit de mousse. Il se revisitait en pensée, malgré le dégonflement de ses hippocampes à chercher dans un cimetière quelque part vers le sud accompagné d’une bande de jeunes et étrangement d’un petit oiseau à gorge orange, sans doute un témoin promeneur de son passé ancien. Mais il n’avait pas trouvé son père qu’il cherchait depuis des lustres éteints. Le gardien Dresdois, auquel il manquait trois doigts sur dix, avait simplement dit que depuis des mois des corps, ici, disparaissaient. Le valétudinaire marmottait toujours de drôles de mots bouillis dans l’une des six milles langues universelles mais incompréhensibles, ni sibyllines, ni cyrilliques. D’autre vieux monstres entouraient le couple, certains lâchaient des sons phénoménaux issus d’orifices vraisemblablement en décomposition tandis que d’autres s’affichaient en mille grimaces désabusées. Louis s’attendrissait sans cophose.au moment où son hémisphère gauche vers Wernicke sud sonna à gros bouillons comme l’aurait fait Godefroy pour appeler à une nouvelle croisade.
« Pour qui sonne le glas ? » s’enquit un fripé à tête de frigane dont les mandibules frottaient sur sa mâchoire dans un bruxisme atroce digne d’un layetier exerçant dans une scierie de Saint-Dié des Vosges.
« C’est Démentia ! » répondit Louis au desquamé qui s’effondrait sur ses rotules pourries
« Oui, allo, Louis vous êtes où, ça fonctionne maintenant mais je n’arrive pas à vous localiser ? »
« Et moi, vous croyez quoi Monsieur Démentia , y’a plein de mainons ici, c’est votre collection de timbrés ou quoi ? Je crois que j’ai retrouvé mon père mais il est dans un état fort bizarre, il souffle et ses dents claquent comme les talons de Kelly sur une piste de danse »
« Ah, c’est bien Louis, vos neurones repoussent, vous vous souvenez de Gene Kelly ? »
« Connais pas pourquoi vous me par parler de Killy, la montagne ça n’a jamais été mon truc »
« Vous êtes sur Jean Claude maintenant, bravo Louis, votre mémoire refait surface sur votre lac gelé ! Vous êtes né quand Louis ? »
« Jean-Claude, de qui me parlez-vous, je ne connais ni Jean- Claude ni reine ni rien, où est Simone ? Il faut qu’elle vienne me chercher, je m’ennuie ici, avec tous ces Neandertal prognathes. »
« Du vocabulaire maintenant, super Louis, le Nobel n’a pas été volé comme l’orang-outan du marchand ».
« Passez-le-moi ! » dit Simone Charpy qui résonnait dans le coffret mental du vieillard.
« Allo Louis, vous êtes où au juste, qu’on vienne vous chercher »
« Je ne sais pas Simone, ici c’est infecté-vieux Simone, ça sent, dépêchez-vous ! »
« Une maison de retraite, Louis, c’est ça ? »
« Je ne sais pas Linda mais hier un médecin s’est accoudé à mon cerveau, il a sorti tout plein de minuscules mimosas, il a dit que c’était le boxon, pire qu’un capharnaüm, des pièces pas à moi, enfin des mélanges, ils me veulent en stock suédois, ça s'appelle Morplus, comme tous ces pingouins décatis, dépêchez-vous, Simone, on pourra faire un petit pas de danse comme autrefois, les gargouilles ! »
Dame cinquante inséra un « on arrive Louis, ne vous inquiétez pas, Kerstin notre amie suédoise va trouver la solution de votre localisation, Louis on arrive ! »
« Dépêchez-vous Simone, ici ça sent le sapin de Norwege au maximum, je veux prendre le train avec vous et rentrer » …