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lettresdumonde
27 mars 2020

Elsa (3)

Le lundi Isidore attendait à neuf heures devant le musée Rodin. Sa nuit avait été agité par la fièvre qui l’avait attrapé par les pieds. Une scie égoïne, toute la nuit, s’était frottée dans le mil de son hémisphère droit. Il s’était levé fatigué mais débarrassé du monstre qui avait grignoté jusqu’ à son système limbique. Vers le matin il s’était souvenu de la veille et des sentiments profonds étaient nés comme des primevères à la fin de l’hiver. Pour Elsa, il s’était levé malgré tout, décidé à se rendre au musée Rodin sans passer par la case banque qu’il avait décidé de déserter aujourd’hui. C’était les yeux et le fou rire d’Elsa Sherman de la veille qui l’avait convaincu de se rendre rue de Varenne, à la fois pour voir le musée qu’il n’avait jamais visité durant son enfance mais aussi pour revoir dans la lumière du jour de ce jeune printemps qui fleurissait, la lumière émise par Elsa. A neuf heures et vingt minutes Elsa s’avançait comme dans un rêve, vêtue d’une combinaison Camille en point de Rome de chez Boden, de boucles d’oreilles or rose et de ses yeux plus perçants que jamais avec autour de son visage une chevelure que Flaubert n’aurait pas hésité à dépeindre comme amoureusement avec des mots précis qui n’appartiennent qu’à lui. Ses cheveux auburn, bouclés, attrapaient les rayons du soleil pour les coincer dans la grâce de la beauté d’une couleur cuivrée de chez Emma Stone.

« Ah vous êtes là Isidore, excusez-moi du retard, mon thé vert insolence violette s’est endormi sur une page où Bovary parcourt les comices agricoles. Il a trouvé un bout de ficelle, il est adorable, vous avez mal dormi Isidore ? »

« Un peu Elsa, j’ai pensé à vous toute la nuit Elsa ! »

« Vous avez pensé à moi Isidore, et alors c’était quoi ces pensées ? »

« Des pensées violettes Elsa avec un liseré de jaune. Vous êtes très belle Elsa. »

« Allez, on va le voir ce Rodin. Je vais vous montrer aussi un Camille Claudel que nous avons en réserve, inconnu du public. Camille était bien plus douée qu’Auguste à mon avis. En général les femmes sont plus douées que les hommes, n’est-ce pas Isidore ? ».

Isidore pensait à Courbet et se disait que le peintre doubien d’Ornans était doué lui aussi. Il savait que Khalil- Bey puis Lacan et sa femme Sylvia avait détourné l’origine du monde de Constance Queniaux pendant des dizaines d’années mais le retour au musée du chef d’œuvre enchantait maintenant le monde de Nagasaki à New-york.

« Peut-être » disait Isidore dont les rouflaquettes héritées de son grand père Maurice descendaient ses tempes et remontaient pour rejoindre son front qui se plissait comme une terre cuite chère à Rodin. Son grand père Maurice, né en 1896 était mort à Verdun en 1917. Isidore avait récupéré les lettres de tranchées qu’il avait envoyé à sa femme Emma avant de s’effondrer, foudroyé au fond d’un fossé qui la veille avait encore dégueulé une dizaine de ses camarades. Maurice écrivait comme un dieu, les lettres étaient touchantes. Isidore aurait voulu prendre un papier blanc, couvert d’une encre de plume d’antan et écrire tout doucement avec des lettres bien penchées que d’Elsa il était en train de tomber amoureux fou.

« Pourquoi vous me regardez comme ça ? » demandait Elsa.

« Comme vous hier. » répondait Isidore dont les yeux verts de jade comme des lumières de miroir que le ciel aurait fait jouer en écho dans les monts d’Auvergne entre le puy Mary et le puis Griou et éclairait le visage blanc d’albâtre d’Elsa.

« Vous brûlez » répondait Elsa qui se détournait en ouvrant la porte dérobée du parc du musée qui s’ouvrait discrètement par la rue Barbey de Jouy derrière l’hôtel de Clermont.

Isidore suivait Elsa dans le dédale de couloirs qui couraient comme dans un labyrinthe. Par bonheur Elsa tenait le fil d’Ariane. Elle l’emmenait dans une pièce retirée ou trônait un « torse de femme allongée » de Camille Claudel comme après les baisers dans un décor somptueux.

« Vous voyez- ça ? » demandait Elsa don l’auburn de la chevelure chutait en cascade, « A-t-on déjà fait mieux ? »

Isidore faisait le tour de la sculpture en bronze. Jamais de sa vie même dans ses promenades d’enfants dans le massif d’Auvergne où tout lui semblait grandiose, il n’avait rien vu d’aussi merveilleux. Il tournait encore et encore autour de l’œuvre pour finir au troisième tour tel un aimant dans les bras d’Elsa pour délivrer l’oiseau d’un baiser fou qui sommeillait dans sa bouche depuis si longtemps. Sa tête tournait. Elsa ne refusait pas le baiser décuplant son énergie comme l’avait fait Emma envoutée par sa passion dévorante. Le moment ne pouvait se contenter de baisers. Les baisers ne suffisaient pas à satisfaire la flamme que Camille Claudel avait déchainée. Elsa se déshabillait. Les lames du plancher acceptaient leurs corps qui se cousait dans un surjet d’absolu bonheur quand dans le même temps, devant la sculpture de Camille, un orgasme foudroyant détruisait le bronze et la raison commune pour aller embrasser la magnificence de l’art qui en brillait d’autant plus ...  

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