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lettresdumonde
21 octobre 2018

Deux histoires Calaisiennes

   Ils sortaient de chez Lidl dans la rue de G°°° pour rentrer chez eux à pied route de W°°° à 2 km environ. Le petit matin était froid et calme, une légère brume s’infiltrait  depuis la mer et le détroit du Pas-de-Calais. Pierre tenait bien au chaud  sa petite main dans la main de sa maman. La conversation courait sur le bon repas qu’ils allaient faire ce midi : aujourd’hui était le jour de la viande, le seul de la semaine. A Calais la misère gronde à bas bruit. Soudain au détour de la rue  de H°°°, des cris, des hurlements, des mouvements en tous sens ; face à face, un front de policiers armés de bombes lacrymogènes et la matraque souple tapent à tort et à travers  et un groupe d’une centaine d’hommes jetés de l’endroit, une sorte de grand hangar, où ils ont passé la nuit.

 La maman s’est arrêté, pour se mettre en retrait. Pierre a demandé à sa mère :

«Pourquoi font-ils cela ? »

« ils sont sans papiers, ils veulent partir en Angleterre, le gouvernement du "nouveau monde" veut les renvoyer chez eux »

«Mais pourquoi les frappent ils, hier notre instituteur nous a parlé des droits de l’ Homme, on a pas le droit de frapper ! »

«Maman, être Français, c’est avoir des papiers ? »

« aujourd’hui, oui ! »

«Mais, moi j’ai pas de papier »

« Ne t’inquiète pas je suis là » répondit la mère.

.

   C’était ce jeune homme, aujourd’hui 30 ans, qui depuis décembre 2002 voilà 16 ans, après la fermeture  de Sangatte en Pas de Calais  essaie, voilà 23 fois, de rejoindre l’ Angleterre. «  J’essaierai encore j’ y arriverai » dit il dans son anglais impeccable. Seul à 20 ans, son père résistant tué sous ses yeux par les talibans, il a quitté Kaboul. "le nouveau monde" veut le renvoyer chez lui ! Ici , depuis 16 ans, c’est la première fois qu’il fait aussi froid. Il traîne entre les dunes, la voie ferrée et le littoral, tout prés de la "cité Europe", temple du commerce et de l'indifférence, régulièrement, il est délogé, on arrache sa bâche qui le cache de la pluie, on l’asphyxie dans un blockhaus abandonné de la grande guerre, il se sent un chien mouillé sans collier. Ca se durcit au "nouveau monde" comme en 40, maintenant la Police lâche les chiens, montrant ses jambes, ses  bras criblés de morsure. Le froid aussi mord. Depuis 16 ans, il a pris 25 ans on dirait, il mange des sandwichs, mais c’est  le soir plutôt, il souffre, il meurt à petit feu, il a froid, la nature ne le berce pas, sa tête et son histoire sont criblées de trous rouges : et on les voit, il se sent une loque  et son costume tient de l’ épouvantail. Il a bu en 16 ans un millier de soupes chaudes dans un coin de France, au "pays de la liberté". Un jour, c’était en 2007, une femme lui a parlé, l’ a pris dans ses bras en pleurant, lui aussi a pleuré, ils parlaient alors la langue Humaine. Avant son père était professeur à l’ école à Kaboul, il voulait faire de lui un médecin, et Dieu qu’il était bon à l’école... Il était un enfant beau, avec de grands yeux noirs, des rêves plein la tête. Maintenant , il est toujours coincé entre 2 néants, le ciel de Calais est corrompu de nuages dans lesquels il marche. Parfois il  a peur, quand le froid le glace, que les dunes soient son tombeau, le vent effaçant son passage sur terre, soldat inconnu au pays du "nouveau monde".

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